lundi 17 septembre 2012

Des nouvelles

J'avais commencé la maîtrise en sciences de l'environnement avec cette question énorme en tête: s'il faut chaque année exploiter et produire davantage de biens et services, comment peut-on espérer protéger l'environnement? Mes études et toute la réflexion les ayant accompagnées m'ont permis d'arriver à quelques conclusions. D'abord, en parallèle des cours que j'ai suivis et qui étaient fort intéressants, j'ai vu cette opposition économie/environnement à l’œuvre dans tous les contextes possibles. Ensuite, j'ai répondu à ma question sur la croissance économique et la protection de l'environnement: je peux affirmer sans l'ombre d'un doute que les deux sont irréconciliables et que la poursuite aveugle de la croissance économique nous conduit à notre perte, autant écologiquement que socialement et individuellement. Pour parvenir à faire toujours plus de place à la consommation et au travail rémunéré dans nos vies, on écrase tout ce qui se dresse dans le chemin de l'accumulation du capital: forêts, terres agricoles, droits humains, bien-être, santé, temps libre, amis, démocratie, tout cela pêle-mêle et dans le désordre. Toute chose perd son sens s'il n'est pas possible de la rentabiliser, et alors leur sens premier devient leur taux de productivité.
La croissance économique et tout ce qui vient avec nous tient solidement en laisse: sans elle, c'est la crise et la souffrance humaine encore plus aiguë, bien mise en évidence par les médias capitalistes qui font rimer le bonheur du peuple avec "l'enrichissement" sans fin.
Devant la démence d'un système qui rabaisse chacun d'entre nous à un calculateur borné sur ses revenus et dépenses, je ne ressens que cet immense sentiment de révolte. Je ne nie pas les tares humaines que sont l'avarice, l'égocentrisme ou la peur, mais j'exècre du plus profond de moi-même un système économique qui se base sur elles, se justifie par elles et tend plus que jamais à dominer nos vies et la planète tout entière. Nous avons complètement perdu le contact avec notre environnement, de telle sorte que les problèmes environnementaux ne deviennent des réalités que par la fenêtre étroite des médias. Vous ou vos enfants ont des maladies que vos grands-parents ne connaissaient pas? Vous êtes en dépression à cause d'un mode de vie malsain? Vous avez peur d'avoir le cancer à 30 ans, pour des raisons que "personne ne connaît"? Ne cherchez surtout pas du côté de votre environnement, de votre eau potable, de votre nourriture, des produits épandus sur les jouets, les comptoirs, les oreillers: allez plutôt acheter le nouveau médicament breveté de la multinationale d'à côté. Après tout, elle emploie votre frère biochimiste et son ami le pharmacologue: ce sont de bons emplois stables bien payés qui permettent de consommer confortablement, même d'investir dans une retraite qui n'est possible que sur la base du pillage de la Terre: faites-la tourner, la roue! Elle grossit sans cesse et commence déjà à vous broyer, mais vous êtes enfermés dans un mode de vie qui est devenu la norme.

Eh bien! Et moi je décrocherais fièrement le diplôme, "Maîtrise en sciences de l'environnement", assorti d'un joli mémoire sur les débats théoriques entourant la question de la croissance économique (Mais de quelle croissance parle-t-on? repose-t-elle sur les augmentations de productivité, l'ouverture des marchés, l'esprit entrepreneurial, une demande suffisante, une offre adaptée?), de l'environnement (le lien entre destruction/protection de l'environnement est-il direct? Comment peut-on corréler l'une à l'autre? De quelles mesures parle-t-on? Comment situer ce débat dans une société "post-industrielle"?) et du changement social (Comment peut-on "décoloniser l'imaginaire"? Imaginer des formes alternatives de vivre-ensemble? Des alternatives au développement? Comment réencastrer l'économie dans le social?)
Un mémoire qui, rappelons-le, ne sera pas vraiment lu par quiconque.
Un mémoire duquel je pourrais peut-être tirer un article scientifique et atteindre un auditoire d'une centaine de personnes, en étant très optimiste.
Un mémoire qui pourrait bien conclure que nous nous sommes dotés d'institutions économiques qui nous enfoncent de force dans le cycle perpétuel de l'endettement collectif et de l'exploitation de tout ce qui existe. Je parle de l'entreprise, en tant qu'organisation hiérarchique ayant vocation d'accumuler du capital, le marché, dominé par des entreprises rapaces, de l'argent-dette, créé par les banques privées à chaque emprunt contracté par vous, moi, n'importe qui. Et après? Je n'ai rien inventé. Tout cela existe déjà pour les rats de bibliothèques et autres curieux qui iront fouiller la littérature sur le sujet. Il y a même des vidéos sur Youtube qui parlent de ça.

Il reste la deuxième question de mon mémoire: que faire?
Je n'ai pas de réponse précise à donner. Il n'y a pas de recette pour organiser une société humaine. La société se vit, elle ne se planifie pas. Je pense que si on prend de plus en conscience de l'absurdité et de la démence du capitalisme, les modes de vie alternatifs se développeront d'eux-mêmes. C'est dans la création, l'imagination, le dialogue, l'écoute et la confiance dans les autres que nous pouvons évoluer pour le mieux.
Pour ma part, ma place n'est pas à l'université, à observer la société à travers le filtre de tout ce qui a été écrit depuis l'Antiquité. Le travail de bureau est invivable, pénible, ennuyant, aride, mauvais pour le corps comme pour l'esprit. Ce dont j'ai besoin, c'est d'air frais et d'un mode de vie sain que je ne peux me contenter d'évoquer dans des écrits. Au lieu de disserter, selon la méthode scientifique, sur les opinions éclairées des économistes et penseurs renommés "incontournables", je vais continuer à penser par moi-même et à colliger et utiliser l'information quand je le juge opportun. C'est-à-dire, pas maintenant dans un mémoire de maîtrise.

Ce système ne vivra pas. Les combustibles fossiles qui le rendent possible vont s'épuiser. Les êtres humains qui le font tourner vont s'écoeurer. La planète qui le soutient temporairement va en chier des grosses et des puantes, et ce sera notre seule et unique faute.

Je vais donc faire ce que je pense faire depuis trop longtemps, c'est-à-dire mettre sur pied ma petite ferme (pas besoin du maudit diplôme) et essayer de dégager plus de temps pour un engagement politique plus cohérent. Je vais tenter de vivre selon mes convictions, car toute autre chose ne ferait aucun sens.

Au plaisir, donc, de vous revoir, les ami-e-s!

Gabriel